Au collège, ... j’ai découvert la philosophie. ...Puis, au lycée, ... mon professeur de latin et de français, m’a fait découvrir Sénèque.
Mais comment vit-on cette double appartenance, dans et hors la cité ? On est schizophrène !On a une double vie, une double personnalité. J’étais en même temps un mec de cité et un bon élève. Je vivais dans deux mondes qui ne se mélangeaient pas. Parfois, des potes séchaient des cours pour faire des bêtises. Je leur disais : « Non, moi les conneries, ce n’est que le week-end ». Ensuite, mon frère aîné Bilal m’a proposé de rejoindre son groupe de rap, donc j’ai pu faire quelque chose de mon goût pour l’écriture.
Ce sont les études, la lecture qui vous ont sauvé… J’ai surtout eu de la chance. Et c’est cela qui est triste. Grâce aux livres, j’ai eu les outils pour m’en sortir. Autour de moi, tout le monde n’avait pas ces clés-là. Donc, qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’il n’y a que les gens passionnés par le savoir, les études qui peuvent s’en sortir ? Que pour les autres, l’errance continue sans fin ?
L'engagement...Tout le monde parle d’amour, de respect, de dialogue, mais il y a une différence entre en parler et le vivre, entre parler et agir. Je m’investis dans tout ce qui va aider à faire peuple, tout ce qui correspond à mon mantra : préserver le patrimoine et cultiver la modernité. Comment ne pas comprendre que si on est contre les musulmans, les juifs, les Noirs, les femmes, on est contre nous-mêmes ?
Avez-vous l’impression que la société avance sur ces problématiques ? Nous ne sommes que dans des bonnes paroles, non incarnées, sans actes concrets. Du coup, on se réfugie dans nos peurs et on se rassure en se disant que le problème, c’est l’autre. La crise d’aujourd’hui est une crise de référents et de modèles. Où sont les Albert Camus, les intellectuels qui vont nous décrypter le réel sans violence verbale ni idéologique, mais en fédérant ? On vit une période de médiocrité intellectuelle et une période inhumaine, où des gens pensent que c’est la violence qui va résoudre les choses. Il y a une raison concrète à cela : comment avancer si notre projet sociétal, c’est l’argent ? Si le projet était de faire peuple, de transformer, par exemple, l’Europe en modèle face à la violence de la mondialisation, on n’en serait pas là. J’ai vu mon quartier mourir de ne pas avoir de projet autre que de faire du cash.
Avez-vous été confronté au racisme ? Bien sûr, mais le plus dur à vivre, c’est la racialisation, l’assignation à identité fixe. C’est choquant et répandu partout. Il y a une construction du regard qui fait que le Blanc représente davantage l’universel que les autres. Mon travail, c’est de déconstruire cela. Ça prendra du temps, mais on doit y arriver. J’ai confiance.
Vous définissez-vous comme un artiste engagé ? Je ne sais pas. Artiste et engagement, c’est un peu un pléonasme. Mon but n’est pas d’être un guide ou un exemple, mais je viens d’une cité où les référents dehors, c’étaient des braqueurs, des dealeurs. Alors quand, aujourd’hui, je vais dans un quartier en France et qu’un jeune me dit « grâce à toi, j’ai ouvert un livre »ou « je veux faire des études », ce sont des victoires. On vit dans un monde où on nous fait croire que tout est facile. Alors que rien n’est facile. Comme je l’ai appris en lisant Camus : on tombe, mais on se relève car on doit exercer au mieux notre métier d’être humain.