Puis le but atteint, le relais est immédiatement pris par le but suivant : un job dans une grande entreprise. Et donc très vite on prend une responsabilité dans l’une des associations (un intérêt aussi profond que subit pour, disons, le vin, le basket, l’aide sociale, n’importe quoi fera l’affaire pourvu que le but soit atteint).
Et souvent ça marche : beaux jobs, beaux salaires, les parents – gardiens de but de leurs enfants – sont fiers, et à juste titre. Mais ça marche de moins en moins. Nombre d’entre ces « gagnants » se précipitent sitôt admis vers l’entrepreneuriat comme seule porte de sortie pour échapper à ce but qu’ils n’ont jamais vraiment désiré.
De plus en plus de cadres dirigeants issus des meilleures grandes écoles françaises, ayant réussi et atteint « le but », mettent pourtant leurs enfants dans une école Montessori, déchirés entre leur souhait de voir ces derniers réussir comme eux l’ont fait, et leur intuition profonde qu’il vaudrait mieux, quand-même, que ceux-ci y échappent et qu’ils poursuivent une éducation sans réel but.
Intuition profonde mais inavouable car la bascule n’est pas facile. Imaginez dans les beaux quartiers si votre enfant ne fait pas une grande école ? Eh bien on se l’imagine de plus en plus car cela arrive de plus en plus!
On les appelle « entrepreneurs », par facilité, mais on pourrait les appeler « vivants ». Bientôt on ne les appellera plus car ils seront devenus la norme. Ce sont les autres, ceux qui seront restés enfermés dans « le but », qui devront s’appeler et se justifier : c’est quoi votre problème pour avoir tant besoin d’un but dans la vie ?
Heureusement il arrive à P Silberzahn d’avoir des candidats dans ses jurys d’admission qui ont compris cela. « Un jour, or que je demandais à cette candidate quel était son projet professionnel, comme à mon habitude avec un secret espoir mais m’attendant au sempiternel « J’ai toujours rêvé d’être… », elle me regarda bizarrement, comme si j’avais posé une question stupide (c’était le cas mais je ne pouvais l’avouer bien-sûr) et me répondit: « Eh bien je ne sais pas. Je ne connais pas du tout le monde de l’entreprise, et j’espère bien le découvrir avec les différentes matières et les différents stages durant ma scolarité. Je suis sûr que je ferai des rencontres intéressantes et que quelque chose en émergera. Je veux garder tout cela ouvert pour l’instant. » Ce fut un moment de grâce. Quel maturité et surtout quel courage! »
Une vie sans but ? Un étudiant sans projet de carrière ? Pourquoi pas ? Prendre des cours au hasard de ses envies, découvrir des choses inattendues, s’initier à la calligraphie, par exemple, totalement inutile, rencontrer des gens en dehors de son cercle et arriver à un endroit inimaginable au départ. Quelques années plus tard, connecter toutes ces choses inutiles et inventer le Macintosh avec ses superbes polices de caractère. C’est l’histoire de Steve Jobs. On peut faire pire, non?
Qui suis-je? qu’est-ce que j’aime ? (et qu’est-ce que je n’aime pas, ça marche bien aussi) avec qui ai-je envie (ou pas envie) de travailler? comment puis-je tirer parti des surprises qui ne manqueront pas de jalonner mon parcours? Pour ceux qui ne cherchent pas à découvrir la place qu’on leur a assigné dans l’ordre des choses mais qui sont décidés à se la construire tous seuls.
Alors si vous non plus n’avez aucune idée de ce que vous voulez faire dans la vie, rassurez-vous. Non seulement ce n’est pas grave, mais c’est même un gros avantage dans un monde d’incertitude et de surprises qui réduiront de toute façon à néant les plans que vous pourrez faire. On peut avancer sans but clair, la plupart des entrepreneurs le font, beaucoup de gens dans la vie le font, il est temps de l’assumer et de le revendiquer. L’absence de but, c’est la vie.